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SYMBOLIQUE DU VERT AU MOYEN ÂGE (1)

Le vert couleur galante

Michel Pastoureau, historien du Moyen Âge, explique que la couleur verte fait son apparition plus tardivement dans l’histoire humaine. Utilisée timidement à partir de l’époque grecque, elle est un peu plus présente à l’époque romaine notamment dans les paysages en trompe-l'œil retrouvés sur les murs de Pompéi. Qu’en est-il pour le Moyen Âge ? Au haut Moyen Âge son usage se fait dans la continuité de l’Antiquité : avec parcimonie, tant dans la peinture que pour la teinture des textiles. En revanche pendant le Moyen Âge central – entre le 11e et le 13e siècle – le vert est alors une couleur très recherchée et appréciée. Les peintres et les poètes s’en servent notamment pour décrire les scènes d’amour courtois. Le vert devient le symbole de l’amour naissant. La déesse allemande de l'amour appelée Frau Minne est toute de vert vêtue. Elle préside aux jeux de l'amour courtois. Le vert héraldique Les croisades ont contribué à installer le vert comme une couleur quasiment héraldique dans l'esprit des Occidentaux.
SYMBOLIQUE DU VERT AU MOYEN ÂGE (2)

LE VERT DE LA JEUNESSE, DE L’AMOUR ET DE L’ESPÉRANCE

Le printemps ne marque pas seulement le réveil de la nature, il voit aussi naître ou renaître les élans du cœur. Les montées de sève concernent tout autant les arbres et les plantes que les jeunes gens et les jeunes filles. Par là même, le vert, couleur du printemps, est aussi la couleur de l’amour. Ou du moins de l’amour naissant, de l’amour jeune et plein d’espérance, de l’amour impatient également. C’est bien souvent une couleur changeante inconstante et frivole, à l’image de la jeunesse elle-même. En milieu noble, les adolescents qui reçoivent une éducation à la cour d’un seigneur sont souvent habillés de vert, tandis que les jeunes filles à marier portent une robe verte ou une pièce de vêtement de cette couleur (coiffe, ruban, ceinture, chaperon). Le modèle végétal explique en partie ce lien récurrent entre le vert et la jeunesse. Certaines saisons sont alors propices à se vêtir de vert, comme le mois de mai qui célèbre le renouveau de la nature.
Symbolique du vert au Moyen Âge (3)

Le vert de l'espérance

Le vert est aussi la couleur de l'espérance : dans le tableau des époux Arnolfini, du primitif flamand, Jan Van Eyck, la dame qui "semble" attendre un heureux évènement ou qui l'espère porte une somptueuse robe verte. Le vert est aussi la couleur de Dame Fortune, pour espérer la longévité et la réussite du mariage. Un mariage et une femme enceinte ? Le tableau représente un mariage, qui pouvait se dérouler chez soi et sans prêtre à cette époque. le tableau constituait alors une sorte de certificat de mariage. La femme n’est peut-être pas enceinte. En effet, la représentation de femmes au ventre proéminent et à la petite poitrine correspond plutôt à une tradition de l’époque. Elle répond à une statue de sainte Marguerite, sainte patronne de l’enfantement, située sur le montant du panneau de bois. Cette figure est placée sous le lustre dans le tableau. A l'époque beaucoup de petites filles s'appelaient Marguerite pour bénéficier de la protection de la sainte. Mais, selon les analystes du tableau, une foule d'autres formes symboliques entourent le couple. le lustre porte une bougie allumée : au-dessus du couple, elle se pose en flamme nuptiale; le petit chien au premier plan symboliserait la fidélité conjugale ; le lit conjugal aux tentures d'un rouge vif : l'acte physique d'amour pour l'union parfaite de l'homme et de la femme (principe religieux) ; les patins, sandales d'extérieur : les chaussures que l'on enlève dans les lieux sacrés ; le "miroir de sorcière" au centre de la composition serait une clé permettant au peintre de dessiner l’entièreté de la scène et de la pièce en une seule vue, de créer une perspective complexe avec des lignes fuyantes courbes car c’est un miroir bombé, et de faire une référence directe au sujet car ce type de miroir est inventé très exactement à cette époque pour les commerçants et les banquiers afin qu’ils surveillent leurs boutiques. De plus, lorsque l'on regarde attentivement le miroir, on peut remarquer que, dans le reflet, les époux ne se tiennent pas la main et que le chien (qui est un symbole de fidélité) a disparu. Cela pourrait signifier que le couple est en réalité infidèle ; le reflet nous montrerait donc l'envers du décor.
SYMBOLIQUE DU VERT AU MOYEN ÂGE (4)

Le chevalier vert

Au déclin du Moyen Âge, le mauvais vert semble étendre son empire et toucher des domaines où il n’était guère à l’œuvre auparavant. C’est le cas de la légende arthurienne. Dans les romans du XIIIe siècle, un chevalier vert, c’est-à-dire un chevalier dont l’écu, le bliaud et la housse du cheval sont de couleur verte est souvent un jeune chevalier dont le comportement plein de fougue va être cause de désordre. Mais il n’est pas pris en mauvaise part pour autant. Au contraire : récemment adoubé, il cherche à prouver sa valeur, à mériter une figure héraldique valorisante dont il pourra orner son écu. Un tel personnage disparaît au siècle suivant. Désormais les chevaliers verts se font plus rares ou bien deviennent des figures étranges, inquiétantes, porteuses de mort. L’exemple le plus célèbre se trouve dans un roman anglais de la fin du XIVe siècle : Sir Gauvain and the Green Knight (Gauvain et le Chevalier vert). Le texte, écrit en vers allitératif n’est conservé que par un seul manuscrit, et l’auteur est resté anonyme. L’histoire commence à la cour du roi Arthur, à Camelot, une semaine après Noël. Un chevalier vert d’une taille gigantesque, armé d’une hache, se présente et propose un jeu : que quelqu’un prenne sa hache et lui donne un coup, un seul ; lui-même lui rendra ce coup. Gauvain accepte ce jeu étrange : d’un coup de hache, il décapite le Chevalier vert. Mais celui-ci récupère sa tête et s’en va, en rappelant à Gauvain sa promesse : « Rendez-vous dans un an et un jour au lieu-dit « la chapelle Verte ». Une année s’écoule. Gauvain se met en quête de cette chapelle et participe à différentes aventures… ... Dans un château mystérieux, la femme d’un seigneur qui l’héberge cherche à le séduire. Gauvain résiste à la tentation, acceptant seulement en gage d’amour trois baisers et une énigmatique ceinture verte, dotée de pouvoirs magiques : elle protège de la mort celui qui la porte. Conduit à la Chapelle Verte, Gauvain retrouve enfin le Chevalier vert. Celui-ci est armé d’une faux, l’instrument mortifère par excellence : par trois fois, le Chevalier Vert fait semblant de décapiter Gauvain, mais il arrête son bras à temps et ne laisse qu’une légère entaille sur son cou. Gauvain étant terrorisé par ce qui lui arrive, le Chevalier Vert lui explique alors qu’il est l’époux de la dame tentatrice et que toute cette mise en scène cruelle a été imaginée par la fée Morgane afin de mettre à l’épreuve le meilleur chevalier de la Table ronde. S’il avait été loyal et courageux jusqu’au bout, Gauvain n’aurait pas accepté la ceinture verte. Déconcerté et quelque peu honteux, celui-ci retourne à la cour d’Arthur, raconte son aventure et avoue son manque de courage au moment de recevoir le coup fatal. Ses compagnons lui pardonnent et décident de porter une ceinture verte en mémoire de cette aventure. Déconcerté, le lecteur l’est aussi. Tout dans cette histoire est étrange et fait écart avec les romans de chevalerie traditionnels. Une certaine sauvagerie et des reliquats de paganisme laissent deviner que l’auteur a réuni plusieurs légendes et traditions antérieures, pour en faire une œuvre arthurienne. L’omniprésence de la couleur verte pose problème : que signifie-t-elle ? Ce chevalier vert est à la fois terrifiant et bienveillant, violent et amical, tentateur et miséricordieux. Son aspect surtout, est des plus insolites : non seulement ses armes, ses vêtements et son équipement sont entièrement verts, mais sa peau elle-même est verte, faisant de lui un être surnaturel. Incarnation du Diable ou du Christ ? Enluminures de la British Library.

Les yeux verts

La mauvaise réputation des yeux verts n’est pas propre au Moyen Âge. Elle est déjà bien attestée dans la Rome antique (le poète Martial, par exemple, y voit une nature perverse et débauchée) et traverse toute la période du Moyen Âge. Les yeux de Judas sont verts. Sa robe aussi. Les traités de physiognomonie, qui à partir du XIIIe siècle ont tendance à revaloriser les yeux bleus (discrédités chez les Romains), ne sont pas tendres avec les yeux verts : ceux-ci traduisent une nature mauvaise, un esprit faux et rusé, une vie de plaisir et de débauche. Ce sont les yeux des traîtres, des chevaliers félons, de Judas, des femmes qui font commerce de leur corps et des jeteuses de sorts, spécialement lorsqu’ils sont petits et enfoncés. Ce sont aussi les yeux du basilic, monstrueux coq serpentiforme, dont le corps entièrement rempli de venin et dont le regard tue. Le Diable lui-même est parfois figuré avec des yeux verts. Un dicton en usage au XVIe siècle proclame que les hommes et les femmes qui possèdent de tels yeux sont destinés à le rejoindre dans son antre infernal : « au Paradis, les yeux gris, au Purgatoire les yeux noirs, en Enfer les yeux verts ».
Giampietrino (Giovanni Pietro Rizzoli, dit) Italie Lombardie Milan, École de La Mort de Cléopâtre, 1538 Huile sur panneau- Musée du Louvre.
Symbolique du vert au Moyen Âge (5)

LE VERT EN ORIENT – LA COULEUR DU PARADIS ET DE L'ISLAM
Mais qu'en est-il du vert en Orient ? En terres musulmanes comme en Occident, le vert est symbole du printemps, associée à la végétation et au Paradis . Mais il n'est jamais pris en mauvaise part dans les textes religieux. Le caractère absolument bénéfique du vert, sans ambivalence, associé à la tradition qui en fait la couleur préférée du prophète Mahomet, vont en faire la couleur de l'Islam.
Image : Les Makamat de Hariri ; exemplaire orné de peintures exécutées par Yahya ibn Mahmoud ibn Yahya ibn Aboul-Hasan ibn Kouvarriha al-Wasiti. BnF.
SYMBOLIQUE DU VERT (6) LE VERT, UNE COULEUR SECONDAIRE La dévalorisation du vert, déjà bien réelle à la fin du Moyen Âge, se poursuit à partir du XVIe siècle. Seul est digne et respectable le vert de la nature parce qu’il est l’œuvre du Créateur ; tous les autres verts sont plus ou moins condamnables. Pour les grands réformateurs protestants, le vert est une couleur frivole, immorale, dont tout bon citoyen, tout chrétien vertueux doit se dispenser. Les peintres sont nombreux qui délaissent ou méprisent le vert, abandonné à la représentation de paysages et aux scènes de genre ; la grande peinture, qu’elle soit religieuse ou mythologique, en fait un usage restreint, jamais central, toujours périphérique. LE VERT DES PEINTRES ET DES ENLUMINEURS Parmi les procédés en vigueur, le plus simple consistait à mélanger du bleu et du jaune. Toutefois, nous observons que chez les grands peintres italiens du XVIe siècle (Léonard, Raphaël, Titien, par exemple), dont les pigments ont été maintes fois analysés, les tons verts ne sont jamais obtenus par un tel mélange. Seuls Giovanni Bellini, Giorgione – un des plus grands peintres des verts de tous les temps – et quelques petits maîtres vénitiens semblent faire exception. En amont, une même absence des pratiques de mélange s’observe chez les grands artistes du XVe siècle, qu’ils soient italiens (Pisanello, Mantegna, Botticelli) ou flamands (Van Eyck, Van der Weyden, Memling) : aucun n’a recours au mariage du bleu et du jaune pour faire du vert. Les grands peintres ne semblent avoir eu recours au mélange du bleu et du jaune pour obtenir du vert qu’assez tardivement. Au XVIIe siècle, Poussin et Vermeer utilisent abondamment la malachite et différentes terres vertes. En revanche, il en va différemment chez les enlumineurs. Plusieurs analyses récentes ont montré que, dans les dernières décennies du XIVe siècle, il n’était pas rare que certains d’entre eux procèdent ainsi (broyer dans le même mortier ou en mélangeant dans le même récipient une matière bleue et une matière jaune). Assurément, à cette date, cela est loin de constituer une pratique générale, mais ce n’est pas non plus une façon de faire exceptionnelle, comme l’attestent les études faites en laboratoire. Le plus souvent il s’agit de deux minerais : azurite et jaune d’étain ; lapis-lazuli et orpiment ; mais il peut s’agir aussi de deux produits d’origine végétale : guèdre et gaude, voire d’une matière végétale et d’une manière minérale : indigo et orpiment. Visuel : Giorgione, la Tempête, 1508, Gallerie dell'Accademia de Venise, Italie.
LE "VERT VÉRONÈSE" Ce tableau représentant un jardin de la Renaissance, attribué à l'école de Véronèse, combine toute la symbolique du vert ancestral (le jardin, l'amour et la galanterie) dans un vert spécial qu'on appellera plus tard, le "vert Véronèse". Ce jardin idéalisé de la fin du XVIe siècle est encadré par des architectures latérales à l'antique qui semblent faire fonction de scène de théâtre : sur la scène du jardin se déroule la quotidienneté des occupations et des rencontres galantes ou amicales. Le pigment dit Vert Véronèse a été inventé en fait deux siècles après la mort du peintre Paolo Caliari, dit Véronèse. Il s'agit d'un nom commercial, datant du XIXe siècle, , visant à indiquer la possibilité de reproduire les couleurs vives admirées chez cet artiste fameux : « ce vert glauque et prasin, vert idéal et fabuleux, où l'outremer domine et que les peintres appellent vert Véronèse !

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